Les gens vivent plus longtemps qu’auparavant. Les Canadiennes et Canadiens qui avancent en âge réalisent qu’à leur décès, leurs enfants seront eux aussi plus vieux et qu’il serait peut-être préférable de les aider maintenant, alors qu’ils s’engagent dans leur vie adulte.
LOUIS, SERAH, Boomers are giving kids money before they die in ‘dysfunctional’ system, Financial Post, October 4, 2024, updated October 9, 2024.
Nous avons interrogé Anik Bougie, notre cheffe en planification financière et fiscalité, et Anik Bellemare, l’une de nos notaires, sur les moyens dont disposent les parents désireux d’aider leurs enfants dans leurs projets de vie, notamment dans l’achat d’une propriété. Quelle est la meilleure façon d’apporter cette aide sans toutefois compromettre leur sécurité financière à la retraite?
Parlons d’abord de la sécurité financière des donateurs, les parents, qui ont longuement travaillé pour atteindre leur indépendance financière. Quelle serait la démarche à suivre pour s’assurer que l’aide apportée ne nuise pas à leur planification de retraite?
A. Bougie Avant de procéder, il est très important que le parent qui veut consentir un don ou un prêt à son enfant discute de ses intentions avec sa conseillère ou son conseiller financier. Une projection financière est un point de départ essentiel dans cette démarche et la conseillère ou le conseiller pourra aider à identifier les facteurs déterminants :
- Y a-t-il un excédent dans la situation financière du parent ?
- Si cet excédent existe, le parent pourrait-il considérer faire un don du vivant à son enfant, tout en conservant une partie de l’excédent pour ses propres besoins, en cas d’imprévus?
- S’il n’y a pas d’excédent, pourrait-il offrir un prêt à son enfant, ce qui ne remettrait pas en cause l’indépendance financière du parent dans les années à venir?
Une fois que la décision est prise, comment procéder?
A. Bougie Toujours avec son conseiller ou sa conseillère, le parent doit examiner son bilan pour identifier quels actifs seraient à liquider pour effectuer le don ou le prêt. L’un des aspects les plus importants à considérer, à cette étape, est l’impact fiscal du ou des actif(s) décaissé(s). Le choix dépendra du revenu imposable du parent, qui est déjà estimé pour l’année.
- Si l’objectif est de créer du revenu imposable pour l’année, la meilleure option est de décaisser un actif qui va créer du revenu imposable supplémentaire, comme par exemple un retrait de son REER.
- Si le parent a déjà un revenu imposable très élevé, il serait généralement plus indiqué de favoriser le décaissement d’un actif qui génère peu ou aucun impact fiscal comme des placements non enregistrés sans gain latent ou encore un retrait de son CELI.
Selon un rapport de la CIBC publié en juin 2024, le pourcentage d’acheteurs d’une première maison qui a reçu une aide financière familiale a grimpé à 31 %, par rapport à 20 % en 2015. La valeur moyenne du don reçu est d’environ 115 000 $.
LOUIS, SERAH, Boomers are giving kids money before they die in ‘dysfunctional’ system, Financial Post, October 4, 2024, updated October 9, 2024.
Une mise de fonds pour une propriété se situe entre 5 % et 20 % du montant total de l’achat. Si l’aide apportée par le parent prend la forme d’un don en argent pour la mise de fond, l’aspect fiscal est à considérer, à la fois pour le parent et pour l’enfant. Comment le planifier?
A. Bougie Dans la majorité des cas, un don pour une mise de fonds représente un montant significatif. Il est important de le prévoir suffisamment à l’avance pour planifier le meilleur moment pour effectuer le retrait dans le portefeuille du parent et pour répartir l’impact fiscal du décaissement de certains actifs.
Dans le cas de l’enfant qui reçoit cet argent, il faut savoir qu’il n’y a pas de règles d’attribution fiscale pour le ou la récipiendaire du don, pourvu qu’il ou elle soit majeur(e).
- Il est cependant possible d’optimiser sa fiscalité en maximisant son REER, si ses droits de cotisation le permettent. Cette cotisation supplémentaire pourra ensuite donner accès au RAP (Régime d’accession à la propriété). Attention : le montant doit rester au moins 90 jours dans le compte REER avant d’être retiré pour le RAP.
- L’enfant pourrait aussi maximiser son CELIAPP (si ses droits de cotisation sont suffisants) et faire par la suite un retrait admissible pour l’achat de sa première propriété.
Toujours dans le cas d’un don, y a-t-il des moyens de protéger cet argent, si l’enfant est copropriétaire avec un conjoint ou une conjointe, ou avec une autre personne?
A. Bellemare Effectivement, même dans le cas du don d’une somme substantielle pour l’achat d’une propriété, le parent devrait s’assurer que cet argent est investi sagement et protégé.
- Si l’enfant est célibataire ou conjoint(e) de fait, la situation est plus simple puisque l’enfant ne sera pas assujetti au partage du patrimoine familial et du régime matrimonial. Les parents pourraient donc faire un don en argent à leur enfant sans craindre qu’il ou elle ait à le partager. (Attention, par contre, aux nouvelles règles sur le patrimoine d’union parentale qui entreront en vigueur en juin 2025!)
- Que l’enfant soit ou non l’unique propriétaire (qu’il ait choisi d’acheter seul ou avec un(e) conjoint(e) ou un(e) ami(e)), s’il ou elle est marié(e) ou uni(e) civilement, il serait judicieux de rédiger une donation notariée et de faire inscrire à l’acte d’achat qu’un pourcentage ou que la mise de fonds entière provient d’une donation. Ces solutions protégeraient le don puisqu’en cas de divorce ou de dissolution de l’union, les biens échus par donation ou succession seront exclus de la valeur partageable du patrimoine familial et d’un régime matrimonial.
L’aide à un enfant peut aussi prendre la forme d’un prêt. Et qui dit prêt, dit modalités de remboursement. Comment aborder la question du prêt ?
A. Bougie Il faut, dès le début, établir clairement les modalités, c’est-à-dire le taux d’intérêt applicable (s’il y en a un), le terme du prêt (durée du remboursement), ainsi que la fréquence et le montant des remboursements. Comme le prêt sera utilisé pour l’achat d’une résidence personnelle pour l’enfant majeur, les règles d’attribution fiscales ne s’appliqueront pas, ce qui veut dire que le taux d’intérêt pourrait même être nul.
A. Bellemare Dans le cas d’un prêt, les parties devront aussi décider si elles veulent faire un prêt personnel ou un prêt garanti par hypothèque.
- Dans la situation où le prêt se fait sous forme de prêt personnel ou de reconnaissance de dette, le parent aurait un recours par l’entremise des tribunaux pour recouvrer les sommes dues en cas de défaut de paiement ou de non-respect des modalités prévues au prêt. C’est un recours possible, même s’il est non souhaitable!
- Le parent créditeur devrait aussi déterminer si, en cas du décès de l’enfant ou de son propre décès, il y aura obligation de rembourser la dette ou pas.
- Autre élément à valider : le prêt sera-t-il consenti à son enfant seulement, ou à sa conjointe ou son conjoint également?
- Le parent créancier pourrait prendre la maison en garantie pour s’assurer du remboursement du prêt. Dans ce cas, l’hypothèque sur l’immeuble serait publiée et au remboursement complet du montant ou à la revente de l’immeuble, il y aurait une quittance à régler. L’inscription de l’hypothèque et celle de la quittance impliquent des coûts supplémentaires, mais elles assurent au créancier un remboursement au moment de la revente de l’immeuble. Elles lui donnent aussi accès à un recours hypothécaire en cas de non-remboursement de la dette ou du non-respect des modalités du prêt, et donc, une plus grande protection.
- Si l’enfant a également une hypothèque avec une institution financière, il devra possiblement demander la permission à cette institution pour inscrire une autre hypothèque sur l’immeuble.
Vous avez soulevé la notion de succession… Considérant le fait que l’enfant puisse décéder avant le remboursement complet de son prêt, que peut faire le parent pour se protéger?
A. Bellemare Le parent pourrait décider qu’en cas du décès de l’emprunteur, la dette serait annulée, mais il pourrait également vouloir que lui-même ou sa succession reçoive le remboursement complet du prêt. Le prêt deviendrait alors une dette des héritiers de l’enfant (de la succession de l’enfant) au parent ou à la succession du parent. Cette question devra faire l’objet de discussions parent-enfant.
Y aurait-il d’autres façons d’aider son enfant, tout en minimisant le risque financier pour les parents?
A. Bellemare Dans certains cas, les parents pourraient être prêts à vendre leur propre propriété à leur enfant (par exemple, s’ils ont décidé d’aller vivre en résidence ou d’acheter une maison plus petite). Le don pourrait alors prendre la forme d’un don d’équité, qui serait un montant équivalent à la mise de fonds. L’intérêt de cette solution est qu’elle n’implique aucun transfert d’argent, une partie du paiement du prix de vente se faisant sous forme de don. Il faudrait cependant valider avec l’institution financière si cette méthode est acceptée.
- Il reste toujours l’option d’endosser l’enfant, ce qui implique que le parent serait entièrement responsable de la dette, sans être propriétaire de la résidence.
- Autre option : être co-emprunteur et donc copropriétaire de la résidence avec l’enfant, ce qui impliquerait d’être solidairement responsable de la dette, mais aussi de payer les taxes municipales et scolaires de l’immeuble, sans oublier l’impact fiscal potentiel pour le parent à la revente de l’immeuble.
Regardons maintenant la situation du point de vue des autres membres de la famille : comment les parents peuvent-ils s’assurer que le fait d’aider l’un de leurs enfants financièrement ne pénalise pas les autres sur le plan de la succession?
A. Bougie Évidemment, la notion d’équité doit prévaloir dans une telle situation. Le parent doit se poser la question : qu’est-ce qui serait juste pour tous? Il y a plusieurs façons d’égaliser le don, notamment en donnant une somme équivalente aux autres enfants. Il faudra alors déterminer si ce don devrait être fait du vivant ou au décès.
- Si le don est au décès, un legs particulier d’une somme équivalente pourrait être inclus dans le testament pour chacun des enfants concernés.
- Il serait aussi possible au parent de prendre une assurance vie d’un montant équivalent, dont les autres enfants seraient les bénéficiaires.
A. Bellemare Dans une volonté d’équité, le parent pourrait exiger le remboursement du montant du prêt à sa succession à son décès, ce qui entraînerait une transmission de la créance à ses héritiers. Si un parent préfère l’annulation de la dette à son décès, il ou elle devra choisir l’un des moyens déjà mentionnés pour égaliser le don ou le prêt.
Comme vous pouvez le constater, il y a plusieurs façons d’aider ses enfants financièrement. Validez d’abord votre situation financière et votre capacité à proposer cette aide, et choisissez le moyen le plus efficace pour la fournir tout en protégeant votre indépendance financière à la retraite. Votre conseillère ou conseiller en gestion de patrimoine pourra vous aider à prendre la meilleure décision dans votre situation.
Anik Bougie
LL.M. Fisc., Pl. Fin., TEP
Cheffe de pratique, Planification financière et fiscalité
Anik Bellemare
LL. B., D.D.N.
Notaire, Gestion de patrimoine