Yann Furic
B.B.A., M. Sc., CFAMD
Gestionnaire principal, répartition d’actifs et stratégies alternatives
Depuis plus de trente ans, les chaînes d’approvisionnement mondiales se globalisent et s’optimisent, ce qui a entraîné une baisse générale des coûts de production.
Au fil du temps et pour différentes raisons, certaines mesures ont été mises en place dans de nombreux pays pour protéger leur économie, notamment le protectionnisme dans certains secteurs d’activités, ainsi que l’imposition de quotas et de tarifs.
L’utilisation de tarifs peut-elle atteindre plusieurs objectifs?
Un déferlement mondial de tarifs douaniers
Le 2 avril 2025, aussi désigné Liberation Day par l’administration américaine, le président Trump a dévoilé une longue liste de nouveaux taux tarifaires qui seront imposés aux exportations de plusieurs pays. Depuis des mois, le président parle d’imposer des tarifs pour atteindre différents objectifs tels qu’obliger les pays exportateurs à modifier leurs comportements, augmenter les revenus des États-Unis ou contraindre les entreprises à produire leurs biens en territoire américain.
Si elle est possible, cette relocalisation de la production manufacturière aux États-Unis devra s’étendre sur une période de plusieurs années alors que les tarifs, eux, ont déjà été mis en place. À titre d’exemple, mentionnons que l’obtention de tous les permis requis, ainsi que la construction proprement dite d’une nouvelle usine de production automobile aux États-Unis, pourrait prendre de trois à quatre ans et coûter plusieurs milliards de dollars.
Dans le climat économique actuel, l’incertitude concernant les politiques tarifaires crée un sérieux obstacle aux investissements d’entreprises aux États-Unis et ailleurs dans le monde, ce qui est un facteur négatif pour l’économie mondiale.
Vers la création d’une TPS aux États-Unis?
Les tarifs sont des taxes à la consommation et le gouvernement américain a besoin de revenus supplémentaires pour balancer son budget et maintenir les réductions d’impôts en vigueur depuis 2017. Il est donc possible que les tarifs jouent le rôle de la TPS (taxe sur les produits et services) au Canada ou des TVA (taxes sur la valeur ajoutée) en Europe qui sont, en fait, des revenus additionnels pour le gouvernement.
Par exemple, l’annonce de tarifs à la hauteur de 10 % sur les produits provenant d’Australie ne constitue probablement pas une augmentation suffisamment élevée pour entraîner la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement. Une compagnie qui importe un produit de ce pays pourrait sans doute diviser la poire en deux et demander une réduction de prix de 5 % à son fournisseur et absorber lui-même l’autre 5%. En bout de ligne, le consommateur paiera un prix plus élevé et le gouvernement récoltera des revenus supplémentaires de 10 % sur ce produit importé.
Il pourrait donc exister un scénario selon lequel les biens et matériaux que les États-Unis ne peuvent produire à moyen ou à long terme feraient face à des taux de 10 %, comme par exemple l’aluminium, le pétrole canadien ou l’uranium. Dans les autres cas, des discussions bilatérales pourraient résulter en une baisse de taux, mais probablement pas sous le seuil des 10 %, qui semble être un seuil minimal puisqu’il a été adopté pour le sursis de 90 jours accordé le 9 avril aux 75 pays touchés par les tarifs américains (à l’exception de la Chine). Ce taux de 10 % pourrait aussi limiter les représailles et être présenté aux pays membres de l’OTAN comme étant une taxe à payer pour bénéficier de la protection américaine…, même si, au final, les tarifs imposés seront payés, au moins en partie, par les consommateurs américains…
L’amplitude et la durée des tarifs sont donc les deux variables à suivre. Un taux tarifaire plus faible et uniformisé serait perçu comme générant moins d’incertitude et il permettrait de repousser un fort ralentissement économique global. Dans un tel scénario, les investissements des entreprises pourraient reprendre.
Réponse possible des banques centrales
Au Canada et en Europe, l’inflation est tout près des niveaux permettant aux banques centrales d’abaisser les taux pour faire face à un ralentissement économique. De plus, l’Allemagne a la capacité d’augmenter sa dette et ainsi de stimuler son économie, ce qui aiderait également l’Europe.
Aux États-Unis, l’inflation dépasse les cibles depuis des mois. Les tarifs élevés qui entreront en vigueur vont donc augmenter le prix des biens. Cette inflation supplémentaire, combinée à un ralentissement économique, pourrait causer un épisode de stagflation, c’est-à-dire une situation où les consommateurs voient leur pouvoir d’achat diminuer, alors même que l’économie ralentit et que les pertes d’emplois s’accumulent. Voyant un tel scénario se concrétiser, l’administration américaine pourrait alors décider de réduire les tarifs.
En somme, la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait avoir les mains liées jusqu’au moment où, le taux de chômage augmentant de façon soutenue au pays tandis que l’inflation se résorberait ailleurs dans le monde, elle pourrait enfin mettre en place des mesures pour soulager au moins partiellement l’économie américaine.
Le fameux « triple trois » du Trésor américain
Le secrétaire au Trésor des États-Unis, Scott Bessent, discute depuis plusieurs mois de son plan de match pour les quatre prochaines années, le 3-3-3 :
- Augmenter la production de pétrole américain de 3 millions de barils par jour, ce qui est peu probable si les prix du pétrole baissent, parce que les entreprises productrices ne seront alors pas intéressées à augmenter leur production;
- Réduire le déficit gouvernemental à 3 % du produit intérieur brut (PIB), une tâche ardue puisque que les dépenses gouvernementales américaines restent plutôt fixes, même face à un potentiel ralentissement économique;
- Enfin, augmenter la croissance économique réelle (c’est-à-dire hors inflation) de 3 %.
Des tarifs élevés, qui se poursuivent sur une longue durée, vont mettre en péril ce plan de match.
Les marchés boursiers
De façon très générale, les indices boursiers fluctuent au jour le jour, mais sur le moyen et le plus long terme, ce sont les profits des entreprises qui les composent et leur croissance anticipée, en plus des taux d’intérêt (principalement d’un terme de 10 ans), qui définissent leur niveau.
Or l’incertitude provoquée par les tarifs vient altérer toutes ces variables. Les entreprises américaines doivent bientôt publier leurs résultats financiers pour le premier trimestre de 2025. Leurs commentaires nous permettront d’en savoir plus sur l’impact réel des tarifs.
Et l’ACEUM?
L’absence de tarifs supplémentaires pour le Canada et le Mexique lors de la fameuse annonce du 2 avril peut être interprétée comme une pause, en attendant une renégociation plus rapide que prévu de l’accord tripartite de l’ACEUM.
Ailleurs dans le monde
Pour ce qui est des pays émergents, une dévaluation du dollar américain serait propice à leur croissance économique. La Chine a, pour sa part, annoncé depuis plusieurs mois des mesures visant à dynamiser son économie.
En somme, les pays qui auront les moyens de relancer leur économie, que ce soit au moyen de stimulus fiscaux ou monétaires, pourront affronter les mesures protectionnistes ambiantes.
Ce qui a fait bouger les marchés en mars:
- Fortes tensions commerciales qui se poursuivent.
- Volatilité importante en début d’avril.
SURVOL DES BOURSES MONDIALES |
||||
Pays |
Indice |
Rendement |
Évolution |
Rendement cumulatif |
Canada |
S&P/TSX |
-1,51 % |
|
1,51 % |
États-Unis |
S&P 500 |
-5,72 % |
|
-4,20 % |
|
Nasdaq |
-8,22 % |
|
-10,20 % |
Bourses internationales |
EAEO |
-0,49 % |
|
6,94 % |
Pays émergents |
|
0,54 % |
|
3,00 % |
Chine |
MSCI Chine |
1,89 % |
|
15,11 % |
Le rendement indiqué est le rendement total qui inclut le réinvestissement des revenus et des distributions de gains en capital.
Source : Morningstar Direct.
Résultats – obligations canadiennes
L’indice des obligations universelles FTSE Canada, regroupant les obligations, a affiché un rendement positif de 2,02 % depuis le début de l’année (au 31 mars 2025).
Source : Morningstar Direct.
Notre analyse des évènements
Taux directeurs
- Le 19 mars, la Réserve fédérale américaine (Fed) a conservé ses taux à leur niveau actuel. De plus, la politique tarifaire américaine, qui sera inflationniste, pourrait limiter les coupures en 2025. Depuis le 2 avril, les marchés, craignant que le pays n’entre en récession, prédisent trois baisses de taux cette année au lieu des une ou deux d’il y a un mois.
- La Banque du Canada (BdC) a abaissé son taux directeur de 0,25 % le 12 mars, l’inflation se maintenant dans sa fourchette cible. L’incertitude concernant l’imposition de tarifs par les États-Unis pourrait modifier la politique monétaire et mener à des baisses de taux supplémentaires. Présentement, les marchés anticipent de deux à trois réductions de taux cette année.
Situation de l’emploi
- La création d’emplois aux États-Unis a été plus élevée que prévu en mars, 228 000 emplois ayant été créés face à des attentes de 140 000. Soulignons que les données du mois dernier ont été révisées à la baisse. L’inflation salariale est restée trop élevée à 3,8 %, comparativement à l’année dernière. Le taux de chômage a augmenté de 0,1 %, se situant maintenant à 4,2% alors que le nombre moyen d’heures travaillées est toujours stable.
- La perte de 32 600 emplois au Canada en mars s’est révélée bien en deçà des attentes de 10 000 nouveaux travailleurs. Malgré cette sous-performance, le taux de chômage est resté stable à 6,7 %. La croissance des salaires, sur une base annuelle, a chuté à 3,5 % comparativement à 4,0 % le mois dernier.
Inflation
- Au Canada, le taux d’inflation annuel s’est établi à 2,6 % pour le mois de février, en hausse de 0,7% face au mois précédent (1,9 %), le congé de TPS durant la période des Fêtes rendant la donnée moins fiable. Aux États-Unis, le taux d’inflation annuel a diminué de 0,2 % pour atteindre 2,8 % en février.
Éléments à considérer pour les prochains mois
- La réduction de la règlementation dans divers secteurs d’activités aux États-Unis devrait permettre de maintenir la croissance économique et de favoriser l’investissement. Cette tendance à la déréglementation devra être suivie par d’autres pays, comme le Canada, au risque d’une perte de compétitivité.
- Une guerre commerciale soutenue par l’utilisation de tarifs sans discrimination pourrait causer un ralentissement économique et augmenter l’inflation, ce qui se rapprocherait d’un épisode de stagflation, le scénario économique le plus négatif.
- Il est fort probable que tous les scénarios inflationnistes qui auraient pour conséquence de conserver les taux d’intérêt pour les échéances de cinq à dix ans à des niveaux élevés seront évités. De tels scénarios ralentiraient les investissements des entreprises et le rapatriement des chaînes de production aux États-Unis.
- L’incertitude géopolitique continuera d’être présente avec la guerre Russie-Ukraine, les conflits régionaux au Moyen-Orient et les tensions entre les États-Unis et la Chine ainsi que l’annexion possible de Taiwan.
Indicateurs économiques
Indice global des directeurs d’achats
Les indicateurs du segment manufacturier sont en baisse, près des deux tiers des trente pays qui le composent affichant un indice inférieur à 50 (contraction). Le segment des services continue de se maintenir et reste vigoureux.
Taux d’inflation
Sur une base globale, l’inflation diminue et continue d’évoluer dans la bonne direction, mais sa vitesse de décélération s’affaiblit. Les banques centrales n’effectueront probablement pas le même nombre de coupures de taux que ce qui était anticipé il y a quelques mois. Par ailleurs, l’imposition de tarifs à l’échelle mondiale et sans discrimination par la nouvelle administration américaine pourrait créer des pressions inflationnistes en 2025.
Taux directeurs au Canada, en Europe et aux États-Unis
Les taux d’intérêt sont à la baisse depuis quelques mois maintenant. Les craintes d’une reprise de l’inflation aux États-Unis devraient limiter les baisses de taux. A l’opposé, le Canada et l’Europe font face aux menaces tarifaires et leur inflation, plus faible, permet à leurs banques centrales d’abaisser encore leurs taux.
Nos vues tactiques
En mars, nous avons réduit la pondération des actions dans la stratégie de répartition tactique, principalement aux États-Unis et dans les petites capitalisations. Nous avons réinvesti une partie de ces actions en Europe continentale.
Aux États-Unis, nous avons réduit notre poids en actions, mais conservé notre positionnement dans les titres de croissance de grandes capitalisations qui réagissent positivement à une stabilisation des taux d’intérêt et dans ceux qui ont un historique de croissance des dividendes qui sont plus défensifs.
Dans la composante revenu fixe, nous avons augmenté la pondération des obligations et maintenu leur qualité en ne détenant que des obligations gouvernementales canadiennes et américaines.
Nous continuons de privilégier les titres dans les pays développés et la gestion des risques.
Pour savoir comment nos fonds se sont comportés :
Gestionnaire principal, répartition d’actifs et stratégies alternatives
Source des données : Bloomberg
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